dimanche 8 mars 2009

Pelléastres, Jean Lorrain et le baron de Fersen

Jean Lorrain (1855-1906), écrivain, poète, homme de théâtre, journaliste, s'était fait une spécialité de pourfendre ses contemporains dans des chroniques acides et assassines. Tous les grands noms de la Belle Epoque ont un jour craint le mordant de ses attaques et de son ironie.

Après sa mort, son premier biographe, Georges Normandy, fit paraître un ensemble de chroniques sous le nom de Pelléastres, ainsi intitulé du nom ironique que Jean Lorrain donnait aux admirateurs du Pelléas et Melisande de Claude Débussy.


Pelléastres. Le Poison de la Littérature. Crimes de Montmartre et d'ailleurs. Une aventure.
Paris, Albert Méricant, Editeur, s.d. (1910), in-8°, 287 pp.

La couverture est illustrée d'une très belle composition de Rapeno.


Cet ouvrage, en plus d'être l'œuvre d'un des plus fameux homosexuels de la Belle Epoque, contient un très intéressant et utile témoignage sur le baron d'Adelsward-Fersen. Comme nul ne l'ignore, Jacques d'Adelsward-Fersen (1880-1923) organisait des "parties fines" avec de beaux adolescents, élèves des lycées des beaux quartiers (Chaptal et Condorcet). Ces "séances" dans le goût antique ont fini par éveiller les soupçons de la police. Il fut arrêté et condamné en 1903. Il partit finir sa vie à Capri, dans une magnifique villa au style romain, avec son ami Nino Cesarini.

La presse eu tôt fait de parler de Messes Noires. C'était sans compter avec Jean Lorrain qui donne la charge avec sa verve sarcastique (Messes noires, pp. 131-141). "Quel rapport peuvent bien avoir avec cette messe de blasphèmes et de haines, les petits jeux de mains et de vilains et autres pratiques scolaires cultivées par le baron Jacques d'Adelsward ?" La charge est féroce. Elle se poursuit : "La messe noire ! ces loufoqueries de salons de coiffure". Le coup de grâce : "L'hypertrophie de son tout petit moi, sa presque touchante fatuité de jeune homme très smart firent de ses tentatives de fêtes grecques un pitoyable et ridicule divertissement de polissons et de détenus de maisons de correction." Malgré la dureté du propos, reconnaissons le mérite à Jean Lorrain de savoir remettre à leur juste place ces fêtes probablement fort innocentes (je n'ai pas dit chastes).

Dans le chapitre suivant (Un intoxiqué, pp. 141-165), Jean Lorrain fait le récit de sa rencontre avec le baron à Venise en 1901. Le portrait qu'il en trace est en demi-teintes, même s'il se moque de son intoxication aux deux poisons : le poison de la littérature et le poison de Paris, c'est à dire le poison de la mondanité. Le chapitre se termine sur le récit voilé et allusif d'une soirée du baron avec "deux bien beaux gondoliers".

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