mercredi 31 octobre 2012

Ompdrailles, Léon Cladel, 1879

Encore enfant & déjà viril; des muscles, pas de graisse; un torse de héros, une ombre de duvet s'allongeant en droite ligne d'entre les mamelles vers le nombril & se perdant, plus touffue, sous les plis d'un caleçon couleur de feu; des reins bien creusés, irréprochablement assis sur des hanches un peu rondes; svelte, élancé sans être fluet; mains & pieds exquis; bras & jambes étalonnes au compas; un cou flexible & robuste arrosé de cheveux fluides tirant sur le roux, allant par mèches & vifs comme des rayons de soleil; l'air franc, des pupilles bleu-clair & profondes ainsi que des coins d'azur, une bouche paisible & la narine en mouvement; imberbe & la peau chaude de ton, des traits hardiment agencés & vivant en très-bonne harmonie; un front presque carré, la face sereine & superbe d'un archange : il était, l'Ompdrailles, amoureusement & savamment étudié par les yeux avides de la foule, qui ne pouvait se rassasier de le voir.


C'est ainsi que Léon Cladel décrit son héros, Albe Ompdrailles, que son invincibilité comme lutteur a fait surnommer : "Le Tombeau des Lutteurs".

Dans ce roman de 1879, Léon Cladel, un écrivain célèbre à son époque, a raconté le monde des lutteurs, à travers l'image de Ompdrailles. Ce lutteur invincible est devenu la proie d'une femme fatale, la Scorpione, qui lui enlève toute la force vitale qui lui permet de vaincre. C'était sans compter sans Arribial, qui, presque amoureux de lui, le tire du néant dans lequel il était en train de s'enfoncer. Malgré de nouveaux combats tous victorieux, l'emprise de la femme fatale est telle qu'Ompdrailles se donne la mort, vaincu par l'amour dévorant d'une femme et par des lutteurs sans pitié.

Il ne s'agit pas à proprement parler d'un roman homosexuel. C'est même, d'un certain point de vue, le roman de l'amour fou d'un homme pour un femme. Il y a cependant une forte composante homophile, peut-être à l'insu même de l'auteur. Il y a d'abord le portrait de cet être viril, qui affronte d'autres virilités. Il y a surtout cette attention presque amoureuse du vieux lutteur Arribial qui vient le chercher dans son repaire et le ramener à la vie, à sa vie, celle de lutteur.

— Ignace ! dit-il tout à coup en remettant son vieux compagnon des arènes, qui traversait le rû sur un tronc d'arbre non équarri jeté de l'une à l'autre rive; est-ce toi, si tôt?
— Oui, mon Albe!
Une seconde après, ils s'embrassaient comme deux perdus ; ah ! le fait est qu'ils se becquetèrent plus de quatre fois séance tenante ; ils ne pouvaient se rassasier de ce plaisir...

Las ! Cette amitié amoureuse, digne de Walt Withman, ne suffira pas. L'emprise de la femme fatale sera la plus forte, conduisant Ompdrailles au suicide. Son vieil ami le découvre :

Et, péniblement arrivé jusqu'à son bien-aimé, qui portait au cou ce même médaillon semé de diamants dont il était paré le jour où, dans la lice, on l'avait vu s'évanouir sous les faibles poussées du Chacal-de-Monaco, le vieillard l'étreignit timidement, lui descella les paupières, lui tâta le coeur, lui chercha l'haleine &, tout épouvanté, lui baisa la bouche, où tremblait une mousse rosée...
— Aïe ! aïou !
Puis deux ruisseaux de larmes coulèrent sur la face ravinée de ce rude athlète, éploré comme une veuve & palpitant comme une mère devant son enfant expiré.

Ce qui donne une tonalité homophile à ce texte est, plus que l'histoire elle-même, les illustrations de Rodolphe Julian, qui a su si bien mettre en valeur la plastique masculine. Des 16 gravures qui illustrent cet ouvrage, j'en ai sélectionné 12, qui sont une bonne représentation de l'art de Julian. La première, en frontispice, probablement la plus belle, avec ce corps d'Ompdrailles offert dans un mélange de sensualité un peu languide et de virilité affirmée :


La suite illustre les aventures d'Ompdrailles :











Pour finir, cette belle image est celle du vieux lutteur Arribial montrant à la foule le cadavre d'Ompdrailles, mort d'avoir été aimé, ou seulement désiré, par une femme destructrice. Belle image d'une amitié virile !


Pour ceux qui voudraient aller plus loin, notice Wikipédia de Léon Cladel. Le texte numérisé est accessible sur Gallica : cliquez-ici. Vous pourrez vous faire vous-même votre opinion sur ce texte que, pour ma part, je trouve avoir beaucoup vieilli.
Enfin, notice sur Rodolphe Julian. C'est le seul ouvrage qu'il a illustré. Peut-être était-il lui même sensible à ce monde des lutteurs, monde qui a formé l'environnement de son enfance à La Palud dans le Vaucluse : cliquez-ici.


Description de l'ouvrage

Léon Cladel
Ompdrailles, le Tombeau-des-Lutteurs.
Paris, A. Cinqualbre, Editeur, 1879, in-4°, [4]-VI-[2]-386-[2] pp., une vignette au titre, 16 eaux-fortes hors texte et 7 dans le texte.



Complément

Une sculpture de Charles Van der Stappen, de 1892, illustre la mort d'Ompdrailles. Elle se trouve avenue Louise à Bruxelles.
 
 

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